Chapitre 7. Répétiteur de turc
Le sort m’avait jeté à l’École des Langues orientales comme répétiteur de turc, et pendant les longues années que j’y ai passées, j’ai pu constater à quel point les circonstances du monde extérieur pouvaient avoir leur répercussion dans cette institution. Le professeur titulaire de turc, M. Jean Deny, était souvent absent. Pendant la guerre, il était mobilisé, et après quelques années de son retour, il était reparti en Égypte, en mission. J’avais pensé tout d’abord qu’on n’avait pas besoin de remplacer absolument M. Deny, étant donné que je faisais aussi le travail du professeur. Mais j’ai appris vite qu’on ne pouvait pas se passer de cette formalité.
Chapitre 6. Ministère de la Guerre
Pendant la guerre, j’ai rendu au gouvernement français des services qui ne furent récompensés ni matériellement, ni moralement. Je parle de ces travaux de censure que j’ai accomplis en dehors de mes fonctions ordinaires. Ces traductions n’étaient pas payées. J’y consacrais mes soirées, chez moi, puis je portais à l’école les documents que j’avais examinés. En général, il y avait des remarques à faire et peu d’écrits nécessitaient une traduction entière, mais il fallait examiner avec grande attention l’ensemble, parfois volumineux, de ces lettres et témoignages, en arménien ou en turc, de différents pays, représentant différentes psychologies, souvent difficiles à déchiffrer, qui me prenaient beaucoup de temps et d’énergie pour n’y mêler aucun sentiment.
Chapitre 5. Abus de Pouvoir
Pour la question du payement, il était sous-entendu que je recevrais ce que recevaient mes autres confrères, puisque c’était un poste de l’État que j’obtenais. Je n’ai jamais consenti à accepter d’autres conditions, d’ailleurs on ne m’en a jamais proposées. Mais vous, Monsieur Boyer, en diplomate raffiné à frustrer les gens du prix de leur travail, avez trouvé le moyen de retenir vingt-huit mois de mes appointements, dans l’espace de seize années scolaires de mes fonctions. Vous avez recouru pour cela à des procédés et à des abus du pouvoir qui ne peuvent pas être justifiés aux yeux de la loi et qui méritent d’être réparés.
Chapitre 4. Réforme de l’École des Langues orientales
En ce 8 janvier 1911, c’est la réforme de l’École des Langues orientales que vous allez défendre. À M. le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, vous écrivez une démonstration implacable au sujet des chaires magistrales, dont la chaire d’arménien, vacante depuis le 16 janvier 1906, du fait de la démission de M. Antoine Meillet. Une situation « non pas anormale mais quelque peu insolite » dites-vous, expliquant que « si cette situation même n’avait son explication dans un vœu unanimement émis, sur la proposition de mon éminent prédécesseur, M. Barbier de Meynard par le Conseil de perfectionnement de l’école, en sa séance du 9 février 1906, vœu dont la teneur suit : Que la chaire de langue arménienne soit transformée en cours complémentaire. »
Chapitre 3. Garabed Bozolian
Des années plus tard, j’ai eu l’occasion de vous demander, Monsieur Boyer, pour quelle raison vous aviez agi de cette façon envers moi en 1922. Vous avez répondu : « Je suis sûr que vous auriez accepté de travailler, si je vous avais demandé, à des conditions moins avantageuses que vos collègues. »
Chapitre 2. Paul Boyer
“C’est à la suite d’une demande que je vous ai adressée, que je suis entré comme répétiteur à l’École des Langues orientales au début de la Grande Guerre. D’autres candidats s’étaient présentés, mais M. Clément Huart, plus tard membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui connaissait profondément la langue turque, après avoir examiné tous ces candidats, c’est moi qu’il a choisi parmi eux. “
Chapitre 1. Monsieur Portalier
M. Portalier était un professeur de mathématiques du lycée Henri IV, qui habitait un étage au-dessous de ma chambre, sur le même escalier. J’avais eu très peu d’occasions d’échanger quelques mots avec lui. Cette simple question qu’il me posa, ne pouvait éveiller aucun soupçon dans l’esprit de n’importe qui que ce soit, mais comme depuis quelques temps on m’ennuyait de toute façon, je crus voir un rapport entre cette rencontre et la négligence du boulanger, d’autant plus que le proviseur du lycée Henri IV où enseignait M. Portalier, était M. Dan, l’un de vos amis, Monsieur Boyer.
Devlet, justice et réparation : l’incident
« Le journal des Débats », à la rubrique Faits Divers :
Un répétiteur devient fou.
Répétiteur depuis dix ans à l’École des Langues orientales, 2 rue de Lille, M. Kevorkian, de nationalité arménienne, s’est précipité, au cours d’un acte de démence, sur M. Paul Boyer, administrateur de l’école, qu’il a vivement frappé au visage. Quelques instants plus tôt, un élève qui cherchait un livre dans son cartable, avait par inadvertance laissé tomber un pistolet qu’il portait à réparer et la vue de cette arme avait déchaîné chez le répétiteur un accès de fureur. L’état de de M. Paul Boyer n’est pas grave et, après pansement, il a pu reprendre ses cours. M. Kevorkian, qui avait été conduit au commissariat de police du quartier, a été interné après un examen médical ayant conclu à sa non-responsabilité.
Devlet, Justice et Réparation : prologue
Ce qui va suivre est le brouillon d’une lettre que j’adresse à M. Paul Boyer, qui fut l’artisan de mon malheur en France.
Puisque la longue revue des souffrances que je m’apprête à évoquer, et qui n’a pas encore pris fin au moment où je commence cette écriture épistolaire, a pour origine mes fonctions à l’École des Langues orientales et l’incident que j’ai eu avec son administrateur, M. Paul Boyer, je considère comme en mon devoir de lui faire appel une dernière fois, pour essayer de réveiller sa conscience, en vue de chercher à réparer moralement sinon matériellement ce que sa conduite a eu comme conséquences.”