Malgré que je fus malade à la fin de l’année 1925, vous écrivîtes, Monsieur Boyer, au ministre de l’Instruction publique pour lui demander de prendre un arrêté me nommant à nouveau, pour la durée de l’année scolaire 1925-1926, aux fonctions de répétiteur de langue turque à l’École des Langues orientales. Vous y rajoutiez que je recevrais à ce titre, et à dater du 1er novembre 1925, des émoluments annuels, non soumis à la retenue, de huit-mille francs.
En 1926, non seulement je reçus une somme de mille francs à titre de rappel pour l’année 1925 tout entière, de l’augmentation de traitement, mais lorsque je commençai à renseigner mon dossier de naturalisation, vous me proposâtes un projet de « témoignage de ma complète estime », dans lequel vous certifiiez que j’occupais les fonctions de répétiteur de turc, et ajoutiez que « pendant les onze années qui se sont écoulées depuis son entrée à l’École, et notamment pendant la guerre, M. Kevorkian a fait preuve d’un parfait loyalisme à l’égard de la France et qu’il a rendu de précieux services de 1915 à 1919 en effectuant avec beaucoup de zèle et de conscience de nombreuses traductions de turc en français. »
En 1927, au moment précis où j’étais naturalisé Français, je reçus l’arrêté du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts stipulant que j’étais nommé, pour l’année scolaire 1927-1928, répétiteur de turc à l’École des Langues orientales. Le montant des émoluments que j’allais recevoir à partir du 1er novembre 1927 était porté à neuf-mille francs par an. L’arrêté était signé de M. Édouard Herriot.
Quel revirement depuis 1922, n’est-ce pas.
Comme toute situation intrigante trouve toujours son explication, je pris connaissance d’une lettre que vous avez adressée à Monsieur le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts le 6 septembre 1927, dans laquelle vous écrivez, concernant mon dossier de naturalisation :
« Je ne puis que donner un avis favorable. M. Kevorkian, autant que je sache, se recommandant par une parfaite rectitude de conduite et de conscience, par un loyalisme français hors de tout soupçon ; et sans doute devons-nous quelque compensation aux infortunés Arméniens à qui il a été tant promis et si peu accordé. »
Très vite, vous nuancez :
« Toutefois, je crois devoir appeler votre haute attention sur les points suivants. Naturalisé Français, M. Kevorkian se cramponne plus que jamais au répétitorat de turc, alors que, en bonne doctrine, le répétitorat de turc devrait être confié à un Turc d’origine et non point à un Arménien.
C’est au cours de la guerre que M. Kevorkian, d’ailleurs bon pédagogue, a été investi, faute de candidats turcs et donc « ennemis », de sa fonction présente ; et quand, la guerre finie, j’ai voulu le faire renoncer à cette fonction (annuelle, par définition), il s’est débattu comme un beau diable et a remué le ciel et la terre ; d’où il est apparu que le moindre mal serait encore de le renouveler en son emploi.
Naturalisé Français, M. Kevorkian demandera sans doute à subir les retenues qui lui assureraient un droit de pension de retraite, et cette demande pourra trouver des objections de la part du contrôle des dépenses (quoi qu’il y ait des précédents : quand les répétiteurs de l’école ont été des Français, ils ont toujours été admis à « verser » pour la retraite). »